Les malheurs du créateur et directeur pendant 14 ans du bureau Aljazeera à Paris : La France est-elle impuissante face au Qatar ?

Publié le par qatarbook

MICHEL KIK

 C’est l’histoire kafkaïenne d’un journaliste français, peu importe s’il est d’origine étrangère, qui dirigeait le bureau parisien d’une grande chaine satellitaire, peu importe si elle est arabe,  qui a subi pendant plusieurs années une kabbale idéologique, un harcèlement psychologique puis un licenciement tyrannique; mais peu importe, l’image blanche du Qatar et ses pétrodollars importent plus pour beaucoup de politiciens.

 

Mais, heureusement, nous ne sommes pas au Qatar. A la limite, on peut pousser le cynisme jusqu’à fermer les yeux sur les centaines de milliers de travailleurs émigrés au Qatar réduits à subir l’esclavagisme ou la servitude ; mais, ici en France, les travailleurs ont des droits et la dignité humaine n’a pas de prix. La France n’a pas le droit de brader les droits de ceux qui travaillent sur son sol même pour le compte de la Cité du Veau d’Or qu’est devenu le Qatar.

 

L’acharnement qatari contre Michel Kik, comme on va voir, ne peut pas s’expliquer par la radinerie ou l’arrogance. Les autres directeurs de bureaux à l’étranger de la chaine qatarie Aljazeera victimes de licenciement ont été indemnisés ; ils étaient musulmans soupçonnés de ne pas être islamistes comme il le faut, mais leurs droits ont été respectés. La dignité de Michel Kik a été bafouée. Hasard ou élément à charge, Michel était le seul arabe chrétien directeur d’un bureau à l’étranger de la chaine qatarie. De surcroît, il travaillait dans la Ville des Lumières, où justement l’ambassadeur du Qatar est devenu une flamme désirable et intouchable.

 

13 juillet 2009 : Khalid Abdine, un des dirigeants de la chaine Aljazeera, un jordanien très proche du boss Wadah Khanfar, débarque à Paris et fait le ménage dans le bureau de Michel Kik, alors Directeur du bureau parisien de cette chaine mais absent pendant la perquisition, car parti à L'Aquila en Italie pour couvrir le 35ème sommet du G8.

 

En rentrant au siège de la chaine situé dans la Tour Montparnasse, il trouve son bureau cadenassé, il constate que son placard a été cassé et des dossiers ont été volés. Jusqu’à ce jour, il n’a pas pu récupérer plusieurs documents personnels et professionnels. Le 15 juillet, il dépose plainte (ou plutôt une main courante) pour dégradation.

 

Pendant que la Patrie des Droits de l’Homme fêtait le 14 juillet, le directeur du bureau parisien de la chaine Aljazeera a appris, désarmé, qu’il a été licencié pour un chapelet de fautes graves, sans préavis et sans indemnités. Le couperet est tombé un an, jour pour jour, après la parade enchanteresse du généreux émir du Qatar, propriétaire de cette fameuse chaine Aljazeera, à la tribune officielle de la place de la Concorde lors de notre défilé national.

 

Michel Kik est un homme respectable. C’est un journaliste remarquable. De 1985 à 1990, il est grand reporter à la télévision libanaise LBC. C’est en couvrant les accords de Taïf qui mirent fin à la guerre civile libanaise que Radio Orient le contacte et l’embauche comme grand reporter à Paris. Son professionnalisme et son honnêteté rayonneront pour cette chaine de 1990 à 1996. En 1996 justement, il est contacté par Aljazeera pour faire un reportage sur les attentats islamistes de Port-Royal à Paris. C’est comme ça qu’il intègre ce nouveau et puissant média satellitaire. Il enchaine quelques reportages avant que la direction de la chaine ne lui demande de travailler pour l’ouverture de son bureau parisien.

 

C’est Michel Kik qui prospecte et explore jusqu’à trouver des bureaux au quatorzième étage de la Tour Montparnasse. L’ambassade du Qatar à Paris vend une de ses propriétés à Garches et achète ces bureaux dont la moitié servira au siège de la chaine qatarie et l’autre sera louée à la chaine Accord.

 

Ce qui m’a le plus surpris, ce n’est pas le fait qu’une ambassade soit propriétaire du siège d’un média, on ne peut guère rêver de l’indépendance médiatique du pouvoir politique dans une monarchie despotique, mais ce qui m’a étonné c’est que Michel KIK n’a demandé aucune commission dans cette transaction immobilière, ni à l’agence française ni aux autorités qataries ; car il était, selon ses confidences, dans un état d’esprit de droiture vis-à-vis de la direction intègre de l’époque. Les bureaux trouvés et négociés par Michel ont été achetés 1 million € par le Qatar, ils en valent 5 fois plus maintenant.

 

Après les bureaux, il s’est occupé de l’aménagement du studio, des câblages aux fournitures, et surtout de la constitution de l’équipe, des journalistes aux caméramans. L’inauguration sera célébrée pompeusement et somptueusement aux Salons Dauphine en septembre 2000.

 

Aljazeera a pris un virage éditorial et idéologique en 2003, la veille de la chute de Bagdad avec le remplacement du directeur qatari Mohamed Jassim Al-Ali, accusé de sympathie pro-Saddam par le Palestinien islamiste Wadah Khanfar.  Le panarabisme va reculer devant l’islamisme et le nettoyage idéologique de la chaîne ouvrira la route à plusieurs licenciements et règlements de compte.

 

Début 2004, Wadah Khanfar réunit à Doha tous les directeurs de bureaux de la chaine Aljazeera à l’étranger. C’est la première et dernière rencontre entre le correspondant parisien et ce gourou médiatique. La kabbale est enclenchée mais Michel résistera jusqu’à son licenciement.

 

Pendant plusieurs années, la direction de la chaine à Doha prend des décisions et engage des pressions pour dévaloriser son directeur du bureau à Paris et le pousser à jeter l’éponge. La direction qatarie embauche et licencie des salariés de son bureau parisien sans même consulter ni informer préalablement le directeur de ce même bureau.

 

En 2006, la direction qatarie envoie à Paris un responsable administratif et financier, en réalité un nettoyeur. Sa mission était de pousser Michel Kik vers la sortie ou vers la chute. Pendant que ce dernier était en reportage à l’étranger, le nouveau responsable administratif convoque l’Inspection du Travail pour dénoncer la gestion du bureau dont il a, en réalité, la responsabilité.

 

Sur la base de mensonges et de coups-bas, ce nouveau responsable voulait faire condamner Michel Kik  par l’Inspection du Travail avec des procédés dignes du pays qu’il l’a envoyé. Michel sera même accusé de vols et d’abus. Mais l’Inspection du Travail n’est pas tombée dans le piège, elle produira même un document  en faveur de Michel Kik.

 

Puisque l’Inspection ne voulait pas débarrasser les dirigeants qataris de ce journaliste non-grata, alors celui-ci va endurer un harcèlement en bonne et due forme. Le directeur du bureau est mis-en-quarantaine par la majorité de son équipe, même bonjour lui est refusé. Son état de santé se dégrade. Ses bourreaux se réjouissent.

 

L’atmosphère est lourde. L’air est putride. Tout est fait pour empêcher Michel de respirer normalement dans son bureau. Le harcèlement méthodique touche les membres de l’équipe proches du directeur. Des plaintes seront déposées contre Aljazzera. La secrétaire du bureau et un caméraman partiront excédés, exaspérés. Michel, lui, même désespéré, résistera et restera au bureau mortifié. Le teint de sa peau et les traits de son visage en prendront un coup.

 

 Je me souviens, quand j’étais membre du Club de la Presse Arabe, des accusations dont il était la cible, des attaques homophobes et antichrétiennes qui voulaient le clouer au pilori. Un journaliste qui partage avec moi le pays de naissance ne cessait de salir Michel Kik pour prendre sa place. J’avais honte de la bassesse dont sont capables certains de mes anciens collègues.

 

Mais le mal était fait. Michel avait succombé au harcèlement et à la guerre psychologique. Et quand le licenciement abusif est tombé, il demanda seulement que les Qataris respectent le contrat de travail qu’ils avaient signé et qui stipule une indemnité de deux mois par année travaillée.

 

Mais les Qataris voulaient réduire en cendres les 13 ans de carrière de Michel Kik et réduire ce dernier à une M. qu’on jette. Le journaliste ne pouvait se résigner à la recherche d’un règlement à l’amiable alors que les Qataris organisaient son équarrissage. Alors, il saisit donc les Prud’hommes pour sauver sa peau.

 

La première audience était consacrée à la réconciliation, mais la partie qatarie ne voulait rien proposer. Lors de la deuxième plaidoirie, les Qataris avaient introduit une demande de nullité. Les puissants patrons avaient déjà réalisé qu’ils avaient perdu dans le fond, alors ils ont joué la forme. Lors de la troisième audience, la cour des Prud’homme s’est neutralisée dans un état de départage : deux pour la nullité et deux contre.

 

Le compte à rebours est lancé. Quel recours aura ce journaliste français si la France décide la nullité, décide d’abandonner son citoyen à une justice de pacotille qatarie, au couronnement d’une kabbale agitée comme une potence, à la sentence d’un règlement de compte enclenché par le patron islamiste de la chaîne qatarie ?

 

La nullité c’est ce que plaide la chaine qatarie. Quand on travaille en France pendant presque 15 ans avec un contrat qatari,  est-ce que c’est le droit français ou le droit qatari qui doit l’emporter ? Le Qatar est, certes, une grande puissance en France, mais ce n’est pas une démocratie qui respecte les Droits de l’Homme et encore moins ceux des travailleurs étrangers. La France, si !

 

Si la France se déclare incompétente face au Qatar, alors les droits de l’ancien directeur du bureau parisien de la chaine qatarie seront broyés et l’honneur de notre pays sera, une nouvelle fois, souillé.

 

Farid H.

Publié dans Aljazeera

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